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Louis Godart raconte… Blanc
Le compositeur nantais revient sur une année riche en nouvelles sorties et sur son art de l'illusionnisme dans la très belle BO de Blanc.
Figure discrète, mais montante de la VGM en France, Louis Godart est un compositeur passionné dont le talent s’est illustré sur des projets aux saveurs très variées.
Beaucoup ont eu l’opportunité d’entendre ses compositions et arrangements dans Pharaoh: New Era, mais c’est aujourd’hui un projet plus intimiste qui m’a donné envie de contacter Louis : Blanc, le très beau jeu narratif sorti en début d’année par les Nantais, eux aussi, de Casus Ludi.
Pour briser la glace, j’aimerais en savoir plus sur toi. Quel est ton parcours, comment tu t’es retrouvé à composer de la musique pour les jeux vidéo ?
Louis Godart : J'ai commencé à jouer de la guitare à 13 ans, en prenant des cours particuliers. À l'époque, j'étais surtout fan de métal, de rock et de punk. Puis à 20 ans, je suis rentré au Conservatoire de Nantes où j'ai étudié le jazz et la composition, mais aussi un tas d'autres trucs passionnants : l'orchestration, le piano, l'analyse, l'écriture, le solfège évidemment, la batterie…
Cette période a été comme un énorme bain de connaissances pour moi, qui m'a permis de développer ma conscience et ma rigueur musicale. Durant mes études, en 2013 (il y a 10 ans tout pile donc), j'ai participé à une game jam organisée en amont des Utopiales, un festival de science-fiction qui a lieu tous les ans à Nantes. Une game jam, c'est un évènement dans lequel on regroupe des gens capables de créer un jeu vidéo, et sur un temps assez court (en général 48 heures), il faut créer un jeu sur un thème imposé. J'y suis allé sans aucune attente, vraiment curieux de voir ce que je pouvais faire dans ce contexte.
J'y ai rencontré les gens du studio Alkemi Games qui m'ont ensuite engagé pour faire l'OST de Drifting Lands, leur deuxième jeu, et c'est comme ça que tout a commencé. J'ai ensuite fait un maximum de game jams possibles dans les années suivantes pour m'amuser évidemment, mais aussi rencontrer des gens, développer mon réseau et mes capacités.
Tu as eu un début d’année assez chargé avec la sortie de Pharaoh: New Era, de Blanc et plus récemment l’early access de An Ankou. Comment tu arrives à jongler avec les différents projets dans lesquels tu es impliqué ?
LG : Ce qui est déstabilisant avec leur jeu vidéo, c'est que la temporalité est parfois très étrange.
Pour répondre de prime abord à la question : je fais comme je peux, mais j’évite en général de travailler sur plusieurs projets à la fois parce que je n'aime pas ça. Je préfère être concentré sur un seul et y donner l'attention qu'il mérite sans risquer de me disperser ou d'être pris en étau entre plusieurs deadlines, parfois imprévisibles. Mais je sais que des ami·es travaillent sur jusqu'à cinq projets à la fois et je les admire énormément.
En l'occurrence, si Pharaoh est sorti en février 2023, mon travail était terminé depuis juin 2021, date à laquelle j'ai commencé à travailler sur la prod de Blanc (mais dont le prototypage et la pré-production avaient commencé bien avant Pharaoh). Il n'y a donc pas eu de superposition des projets, à mon grand soulagement parce que les deux demandaient une attention solide.
Cet automne, j'ai eu quand même deux projets à la fois, puisque je travaille sur Worlds of Aria et également sur l'early access de An Ankou ; mais c'était plutôt confortable, car les prestations étaient assez compatibles en termes de contenu à créer et de planning.
J’aimerais parler plus en détail de la BO de Blanc. C’est un vrai bel album de musique néoclassique à mes yeux. Le fait que le piano soit quasiment le seul instrument audible complémente parfaitement le minimalisme esthétique du jeu. Comment tu as été impliqué sur ce projet ?
LG : Depuis le tout début. En fait, le premier prototype de Blanc (qui s'appelait La Piste, à l'époque) a été créé en avril 2018 lors d'une game jam à Québec à laquelle j'ai participé avec d'autres membres d'Atlangames (une association régionale de professionnel·les du jeu vidéo).
Le projet s'est ensuite développé dans les années suivantes au travers de plusieurs étapes et itérations, jusqu'à la signature avec Gearbox Publishing qui a permis de lancer la production en janvier 2021. J'ai donc fait partie de toutes les étapes et mon rôle a été de composer la musique du jeu ainsi que d'assurer la direction sonore, en travaillant avec l'excellent Pierre-Marie Blind au sound design. J'avais une totale autonomie dans l'implémentation de la musique grâce à des outils dans le moteur de jeu et à l'usage de FMOD, un middleware audio très pratique qui permet de gérer le comportement de la musique en fonction de ce qu'on décide, sans avoir à en référer à un·e développeur·euse.
Ça a été ma première expérience un peu poussée de musique dynamique dans un jeu vidéo et ça a été passionnant !
On peut dire que Blanc représente comme qui dirait un grand écart artistique dans ta discographie (surtout quand on réécoute Drifting Lands !). À entendre le résultat, on en déduit que tu es un pianiste accompli. Ça te démangeait de pouvoir explorer ce genre de registre dans le cadre de ton travail ?
LG : Alors…vraiment, je suis ravi que tu en déduises ça, et ça prouve que j'ai plutôt bien fait mon travail, parce que la réalité, c'est que je suis un bien piètre pianiste.
L'intégralité de ce qu'on peut entendre dans la musique de Blanc est programmée avec des instruments virtuels. J'ai fait au mieux pour que cette OST sonne organique et jouée par des humains, éviter l'aspect robotique et froid d'une programmation MIDI trop calée sur "la grille".
Donc non, je ne dirais pas que ça me démangeait, mais en tant que non-pianiste c'est quelque chose qui m'a beaucoup intéressé d'explorer l'usage du piano comme moelle épinière.
C'est quelque chose que Untitled Goose Game et Breath of the Wild ont très bien fait et j'avais aussi envie de m'approcher de cette esthétique un peu impressionniste, qui me semblait coller très bien à ce qu'on cherchait à raconter. J'avais aussi cette envie de donner un cachet un peu "français" au jeu, et m'inspirer notamment de la musique de Lili Boulanger et de Claude Debussy était une manière d'essayer.
À l'origine, j'avais cette envie de faire une OST intégralement au piano, mais je me suis rendu compte que ça me limitait dans ma capacité à soutenir certains passages et à offrir de la variété dans l'expressivité. J'ai donc décidé d'y ajouter un orchestre de chambre à cordes assez intimiste pour compléter l'effectif et éviter un résultat trop "monochrome" ou manquant de contrastes.
Ça se voit comme le nez au milieu du visage : les six mouvements de ‘Quatuor à plumes’ occupent beaucoup de place dans l’album. Pourquoi ce choix d’avoir découpé ainsi les parties pour l’album, plutôt que de les grouper dans un grand morceau de plusieurs minutes ?
LG : Ce sont réellement six miniatures qui se jouent à plusieurs minutes d'intervalle dans le jeu, avec une évolution dans la construction musicale à chaque nouveau fragment, mais qui ne justifiait pas qu'ils soient tous ramenés en une seule pièce, à l'inverse du Hameau sous la neige.
Chaque mouvement a sa petite histoire à raconter qui se suffit à lui-même, ça avait du sens de les garder séparés.
Je m’intéresse énormément à la diffusion de la musique de jeu vidéo. Aussi, je ne peux m’empêcher de constater que certaines BO sont disponibles au même moment que la sortie d’un jeu. Pour d’autres, il faut parfois attendre des années. Dans le cas de Blanc, il y a précisément 232 jours qui séparent la sortie du jeu et l’arrivée de la BO sur les plateformes. Qu’est-ce qui crée ce décalage ?
LG : Je pense que chaque cas est différent, mais c'est en général la gestion des aspects légaux. Dans le cas de Blanc, c'était je crois la première fois que Gearbox Publishing diffusait sur des plateformes la musique d'un jeu qu'iels publiaient d'un studio externe, donc ça a surtout pris du temps pour leur équipe juridique de mettre les choses en place.
Je vois que l’OST de Blanc est distribuée par Laced Records. Comment ça se passe de ton côté lorsqu’un label est intéressé par ta musique ? Est-ce que tu t’en occupes, ou dans ce cas précis c’est Casus Ludi qui a conduit les négociations ?
LG : En l'occurrence c'est Gearbox qui a géré le travail avec Laced, le label qui distribue toutes les OST de leurs jeux. À ce jour, je n'ai jamais signé sur un label pour ma musique, elle est en général auto-distribuée en accord avec le studio avec qui je travaille.
Quel regard portes-tu sur la musique de jeux vidéo contemporaine ? Je suis son actualité de façon quotidienne depuis bientôt deux ans, et je suis époustouflé par la variété, non seulement des genres musicaux, mais aussi des profils des compositeur·ices. Comment tu vois l’industrie et son évolution ?
LG : C'est une question difficile parce que je ne suis pas sûr d'avoir "un regard", surtout pertinent, dessus. Mais je suis d'accord avec toi : il y a une variété incroyable que cela soit esthétiquement, techniquement, au niveau des parcours…Il y a une vraie émulsion avec plein de gens qui abordent la chose de manière différente, avec leur unicité, leurs idées propres, leurs envies de pousser les murs de ce qui est possible.
Je dirais cependant que ça reste toujours assez difficile de se faire une place en tant que compositeur·ice : il faut parfois se battre pour prouver l'intérêt de ce qu'on a à apporter à un projet, pour les budgets, pour les droits d'auteurs. Il y a aussi un gros manque de diversité humaine : la majorité des gens qui font de la musique pour le jeu vidéo sont des hommes et il y a de gros efforts à faire pour que ça change.
Jusqu’à présent, et arrête-moi si tu n’es pas d’accord avec le terme, tu as surtout travaillé sur des jeux que l’on pourrait qualifier de « petits budgets ». Tu es habitué à travailler seul à la composition de tes albums ? Ou tu as quand même l’opportunité de travailler avec d’autres musicien·nes ?
LG : C'est bien vrai, même si il faudrait définir "petit budget" ! En effet ça reste assez habituel pour moi de travailler en solo sur les OST, même si Pharaoh par exemple a été le projet le plus collaboratif de ma carrière à ce jour : le résultat final a demandé la participation d'un peu plus d'une quinzaine de personnes, dont 11 musicien·nes.
Sur An Ankou, j'ai la chance de pouvoir travailler avec mon amie Ombeline Chardes, excellente violoniste et altiste qui vit à Oslo. Ce qui est certain c'est qu'à l'origine, je fais de la musique pour la partager avec des gens, que ça soit par la collaboration ou la diffusion. C'est toujours un moment important quand j'ai la possibilité de sortir de mon studio et de partager ça avec des humain·es.
Est-ce que tu écoutes beaucoup de musique de jeux vidéo ? Que ce soit par plaisir, ou pour ta veille professionnelle ? Si oui, quels sont les différents noms qui te viennent en tête et dont le travail t’inspire ces derniers temps
LG : Toujours par plaisir. Je ne fais autant de veille professionnelle que ce que je devrais, mais je prête toujours une attention particulière à la musique quand je joue à un jeu vidéo, et à la manière dont elle est implémentée et gérée.
Je joue beaucoup à Hades en ce moment, donc forcément le travail de Darren Korb me traîne dans l'oreille (et ce n'est pas impossible qu'on en retrouve une trace dans la musique de An Ankou).
Récemment j'ai aussi beaucoup écouté l'OST de Dorfromantik par Laryssa Okada et Pygoscelis, que je trouve vraiment superbe et parfaitement dosée. Le travail de Lena Raine est toujours un bonheur aussi, Chicory a été un jeu assez marquant pour moi à ce sujet.
Finissons sur une libre antenne : tu écoutes quoi en ce moment ?
LG : Je geeke pas mal l'album Are You a Player, de Blaž, un artiste slovène qui fait plein de trucs : de la musique certes, mais aussi des jeux de puzzle au format carnet (dont l'excellent LOK que je recommande), des films…Il vient de sortir et je trouve ça vraiment très rafraîchissant, foisonnant d'idées et de détails qui me donnent l'impression que ma propre musique est froide et sans relief !
Sinon j'écoute beaucoup Hania Rani, et l'album Moenie and Kitchi de Gregory and the Hawk. De la vraie bonne musique à écouter en hiver avec une tasse de thé brûlant sous un plaid, c'est parfait !
Écoutez la bande originale de Blanc sur la plateforme de votre choix.
Louis Godart sur les réseaux sociaux : Bandcamp, Twitter/X, site web
Louis Godart raconte… Blanc
Oh la la c'est vraiment passionnant à lire ces interviews 😍
Un homme qui apprécie Laryssa Okada est forcément quelqu'un de bien.