Kyle Misko raconte… The Case of the Golden Idol

Découvrez l'histoire touchante de Kyle Misko, compositeur acharné de travail promis à un grand avenir.

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Nous sommes le 1er juillet à l’heure où j’écris ces lignes, j’ai encore une bonne quinzaines d’albums à écouter avant de boucler la playlist mensuelle. Enfin, de toute façon il fait moche dehors.

Ce mois-ci, je suis vraiment honoré d’avoir pu interviewer Kyle Misko, compositeur d’origine ukrainienne dont je vous parlais il y a quelques semaines pour son travail sur The Case of the Golden Idol. J’en profite pour lui glisser de chaleureux applaudissements : il vient juste d’être nommé parmi de très grosses pointures de l’industrie à la première cérémonie des Game Music Award qui se tiendra du 19 au 21 octobre prochain. Bonne chance à lui !

Kyle Misko raconte… The Case of the Golden Idol

Kyle Misko

Tu es un compositeur prolifique. En plus de The Case of the Golden Idol et de son DLC, tu es crédité sur une vingtaine d’autres jeux depuis 2020 ! C’est incroyable. Comment fais-tu pour rester inspiré sur autant de projets différents ?

KM : D’abord, merci infiniment pour tes mots et pour avoir remarqué mon travail. Ça compte beaucoup pour tous les artistes indépendants qui mettent tout leur cœur et leur passion dans leur métier.

Je pense que la réponse réside dans ce qui peut inspirer une personne en premier lieu. Pour moi, en tant que musicien, vivre la vie sous toutes ses différentes perspectives, avec tous ses hauts et ses bas, est ce qui me nourrit. Je suis convaincu que nos histoires personnelles et nos origines nous façonnent, ainsi que notre métier, au fil des années et font de nous ce que nous sommes aujourd'hui (à la fois en tant qu'artistes et en tant que personnes).

Je viens d'un milieu très modeste et humble. J'ai grandi dans une petite ville d'Ozerne en Ukraine à la fin des années 90/début des années 2000 et j'ai connu les deux faces de la pièce : du bon côté, il y avait tellement de musique incroyable et de jeux qui sortaient à cette époque, de nombreux films formidables ainsi que des séries télévisées, Internet était en train de devenir quelque chose d’énorme, beaucoup s'en souviennent comme de l'âge d'or, et c'était le tournant du XXIe siècle. Ma mère et ma grand-mère, qui étaient d'incroyables musiciennes, m'ont beaucoup appris sur le fait de profiter des simplicités de la vie lorsque j'étais enfant, et j'ai appris à vivre avec un fort sentiment d'espoir pour l'avenir. Mais, de l'autre côté, je faisais partie d’une société conservatrice, avec de nombreuses controverses sur ce qui est « juste » ou « faux », ainsi que tout ce qui accompagne le fait de vivre dans un pays post-URSS, avec ses nombreuses complications, les brimades à l'école et parfois des environnements peu motivants, voire toxiques.

Tous ces éléments positifs et négatifs qui se sont produits (et qui continuent de se produire) dans ma vie sont ce qui m'influence le plus. Je fais de mon mieux pour profiter de ce que la vie a à offrir et transmettre cela dans mes compositions. J'ai également réalisé que pour de nombreuses personnes créatives, le sentiment d'avancer et de « s'améliorer régulièrement » est essentiel pour rester inspiré. Mais ce sentiment ne vient pas tout seul, il vient avec beaucoup de travail, de dévouement et de régularité.

Investir dans les voyages et découvrir de nouveaux endroits fait également partie intégrante de mon inspiration, tout comme sortir de ma zone de confort et « chercher » constamment. Mes succès et mes échecs ont également joué un rôle dans mes inspirations.

J'ai commencé à travailler à plein temps en tant que compositeur en 2020, mais j'ai été depuis longtemps inspiré pour le devenir, avec mes premières compositions pour des bandes originales remontant à 2015, et de nombreuses compositions écrites avant cela en 2013-2014 lorsque j'ai commencé pour la première fois. Donc, ce long chemin que j'ai entrepris vers mon travail de rêve fait également partie de ce qui me garde inspiré.

Pour résumer, c'est vraiment un tout : les voyages, les relations, les personnes que je rencontre, les jeux auxquels je joue, la musique que j'écoute, les combats, la tristesse, le bonheur, l'espoir, la dépression, le coucher ou le lever du soleil, passer du temps avec des amis, les jours de pluie et toutes ces autres choses quotidiennes de la vie dont nous pouvons tous tirer de l'inspiration.

Ce que j'apprécie dans ton travail, c'est ta polyvalence. On dirait que tu te sens à l'aise dans tous les genres musicaux. Est-ce que tu as grandi en écoutant beaucoup de musique de différents genres ?

KM : C'est intéressant d'y réfléchir ! Mon parcours dans le monde de la musique a commencé avec le rock. J'aimais tellement ce genre que j'ai commencé la guitare en 2008, à l'âge de 12 ans, non pas parce que quelqu'un de ma famille me l'a suggéré (la plupart de mes antécédents familiaux sont militaires), mais parce que je suis tombé amoureux de Switchfoot et Godsmack, le ying et le yang du rock pour moi. Je voulais vraiment jouer leurs chansons en live et apprendre à chanter.

J'ai exploré beaucoup de musique rock au fil des années et j'ai même formé quelques groupes de rock moi-même (notamment mon groupe de reprises Almost Americans).

J’écoutais The Offspring, Tool, Linkin Park, Godsmack, Green Day, Limp Bizkit, Radiohead, Blink 182, Switchfoot, Nirvana, Foo Fighters, Coldplay et bien d'autres, presque jusqu'en 2014-2015. Et de manière intéressante, c'est grâce à certains des groupes mentionnés ci-dessus que j'ai découvert la musique électronique et d'autres genres également (j'ai découvert Aphex Twin et Autechre grâce à Radiohead, par exemple).

J'ai commencé à écouter de la musique de jeux vidéo après avoir eu un formidable mentor en 2013-2014, un producteur du studio de musique où j'ai commencé à composer, qui m'a aidé à définir mon travail de rêve. C'est vraiment dans la vingtaine que j'ai commencé à diversifier énormément les genres musicaux que j'écoutais.

Mais en grandissant, j'ai commencé à réaliser que la musique de mon enfance avait bien plus d'impact sur moi que je ne le pensais !

D'une part, ma mère chantait dans la chorale a capella Oreya de Zhytomyr entre 1995 et 2007, et a même sorti un album avec quelques amis en 2007.

Comme je l'ai réalisé plus tard, cette musique extrêmement belle et éthérée m'a profondément touché. J'avais toujours cette musique en arrière-plan lorsque j'étais enfant et j'ai assisté à beaucoup de ses concerts, mais je n'ai pas vraiment apprécié cela à sa juste valeur avant de grandir.

Malheureusement, ma mère est décédée en décembre 2020 des suites d'un cancer qui résultait d'une vie très difficile, émotionnellement épuisante en Ukraine... (les « environnements toxiques » dont je parlais dans ma première réponse). Elle voulait VRAIMENT que je reste à New York et que j'emmène mes deux jeunes frères avec moi, et par la suite nous rejoindre là-bas. Mais, au final, je suis rentré en 2019 et j'ai pu passer un dernier Nouvel An avec elle. Je pense que la maladie l'aurait emportée de toute façon, et si je n'étais pas rentré en 2019, j'aurais peut-être raté l'occasion de la revoir une dernière fois... donc c'est l'une des seules choses qui me rendent heureux, d'être rentré chez moi pendant ces 3 ans.

Deuxièmement, nous avions beaucoup de jeux vidéo sur notre ordinateur dans les années 2000 (principalement des copies pirates que mon père avait obtenues d'un de ses amis xD), et jouer à des jeux comme Diablo, Warcraft, Legacy of Kain, Harry Potter, Myst, Heroes of Might & Magic et bien d'autres qui ont des bandes sonores absolument incroyables ont eu un impact énorme sur mes goûts musicaux, et même si je ne m'en rendais pas compte à l'époque, ils ont posé les bases solides des bandes sonores que je compose aujourd'hui.

Depuis l'âge de 6 ans, mes parents m'ont inscrit à Sonechko - un ensemble académique de danse folklorique de Zhytomyr. J'y allais après l'école régulière et j'ai obtenu mon diplôme après 11 ans de représentations à travers toute l'Europe, avec différentes danses folkloriques nationales d'Ukraine, de Moldavie, de Bulgarie, de Russie, de Grèce, de Hongrie et bien d'autres. Nos cours de répétition étaient toujours accompagnés de musique classique en live, j’ai donc aussi grandi en écoutant beaucoup de musique classique et folklorique.

Il y avait aussi ma grand-mère, qui était professeure dans une école de musique et jouait de l'accordéon et du piano. Elle m'a inconsciemment fait découvrir d'autres genres musicaux, tout comme mon père qui avait beaucoup de CD de musique rock (les Cranberries et The Offspring étant ses groupes préférés à l'époque) qu'il écoutait à fond en rentrant du travail (il était pilote à la base aérienne d'Ozerne à ce moment-là).

Ce que j'essaie de dire, c'est que même si, lorsque j'étais enfant, j'étais personnellement attiré uniquement par divers groupes de rock et des genres musicaux rock, j'étais en même temps entouré par toute cette autre musique qui m'a inconsciemment laissé une énorme empreinte, même si je ne l'écoutais pas et ne l'appréciais pas délibérément comme je le fais aujourd'hui.

Si je ne me méprends pas, ton travail pour The Case of the Golden Idol est probablement ton œuvre la plus connue. Comment tu t’es retrouvé sur le projet ?

KM : C’est probablement vrai ! Mais il y avait un autre projet qui m'a donné beaucoup de visibilité, appelé Legacy of Kain OST Re-visited, où j'ai recomposé la musique de cette série. Mais à part ça, Golden Idol est certainement ma première « percée » si on peut l'appeler ainsi. 😅

Depuis environ 2013, j'avais le rêve de composer de la musique pour les jeux, mais je ne savais pas comment m’y prendre. Je n'avais aucune connexion dans l'industrie. Tout ce que je savais, c'est que c'était mon emploi de rêve, car cela combinait tant de choses que j'aimais faire. Alors, tout en travaillant à plein temps, je réfléchissais à la façon dont je pourrais me donner une chance d'écrire de la musique pour des jeux... 🤔

Entre 2015 et 2019, j’ai beaucoup tâtonné, et en revenant en Ukraine depuis les États-Unis en 2019, cela m'a donné l'opportunité d'essayer de travailler comme compositeur à plein temps. Je me suis inscrit à de nombreux réseaux de développeurs de jeux, serveurs Discord, groupes Facebook, etc. ; et chaque fois que je voyais un projet intéressant sur l'un d'entre eux, je les contactais et commençais à parler de musique.

L'un de ces « projets qui semblaient intéressants » était The Case of the Golden Idol. J'ai contacté Andrejs (le développeur principal), et il m’a dit que la musique était prévue plus tard dans la production, mais ils m'ont promis de me donner une chance quand le moment viendrait. Près d'un an plus tard, en 2021, ils m'ont contacté pour me dire que les auditions pour les compositeurs étaient ouvertes, alors je me suis tout excité et j'ai créé une démo basée sur le premier scénario du jeu (où Albert Cloudsley pousse Oberon Geller du haut de la falaise, pour ceux qui ont joué au jeu !), mais à ma grande surprise, ils n'aimaient pas l'orientation générale. J'ai amélioré la première démo, mais nous n'étions toujours pas sur la même longueur d'onde en ce qui concerne l'atmosphère globale, et ils m'ont envoyé un e-mail plus tard pour me dire qu'ils avaient malheureusement décidé de ne pas travailler avec moi.

J'étais vraiment frustré de ne pas avoir réussi, car j'étais absolument convaincu que je pouvais composer la musique parfaite pour ce jeu. Les Lettons partagent une passion très similaire aux Ukrainiens pour les jeux vidéo et les « genres de jeux plus de niche ». Je sentais que je pouvais le faire.

C'est à Lviv, au début de 2022, que j'ai composé ma troisième démo qui est finalement devenue le thème principal de la série Golden Idol, intitulé The Watchful Eye. Ils l'ont absolument adoré, car il mettait principalement l'accent sur l'orchestre et les éléments new age.

Chose amusante : la piste principale sonne presque exactement comme je l'ai soumise en démo en 2022. Vous pouvez donc vraiment vous mettre dans la peau du studio qui a finalement décidé de travailler avec moi !

Comme je l'ai mentionné dans la précédente édition, tu es un compositeur ukrainien. Tu m’as parlé dans nos précédents échanges des conditions terrifiantes dans lesquelles tu as composé certains morceaux. As-tu changé ta façon de travailler depuis le déclenchement de la guerre ? Est-ce que ces événements se reflètent dans ta musique ?

KM : Ah oui... c'était environ après le troisième morceau de la bande originale (vers le morceau Alone & Dead – ironique, n'est-ce pas xD) que la guerre a éclaté. Andrejs m'a contacté presque immédiatement en disant qu'il n'y avait aucun problème à reporter la composition musicale en raison des événements.

J'ai fortement insisté sur le fait que me concentrer sur la musique, plutôt que sur la guerre et les événements politiques, était exactement ce dont j'avais besoin à ce moment-là, et j'ai continué à écrire le reste de la bande originale entre d'innombrables alertes de raids aériens et mes allers-retours au bunker, qui se trouvait à proximité de notre maison. Je dois mentionner que je vivais à Lviv, qui est une belle ville proche de la frontière polonaise, donc il n'y avait rien d'aussi effrayant que dans l'est du pays. La plupart de la pression était psychologique, et il y avait quelques missiles occasionnels qui touchaient quelques cibles autour de la ville, mais jamais dans le centre où nous vivions avec ma petite amie (désormais mon épouse !).

Je ne dirais pas que ma façon de travailler a changé, à part le fait d'avoir eu des horaires de travail complètement perturbés pendant toute l'année 2022, mais plutôt toute ma perception de la vie et la réalisation de sa préciosité et de sa fragilité. Et comme je le disais plus haut : les événements de la vie sont de nouvelles sources d’inspiration. Donc je dois dire que oui, ces événements ont eu un impact considérable sur ma personnalité et ont donc également influencé ma musique.

Cette situation m'a rendu plus humble que jamais, et maintenant je peux trouver du plaisir dans les choses les plus simples de la vie, comme avoir de l'électricité stable à la maison. Pendant ce temps, ma musique a certainement gagné une certaine noirceur. Elle a mûri considérablement par rapport à mes anciens travaux, et une fois de plus, le « bon » et le « mauvais » dans la vie m'ont également aidé à composer de nouvelles pistes. Cela m'a également inspiré à créer l'un des projets les plus ambitieux sur lesquels j'ai jamais travaillé, appelé « Ukrainian Alternative Folk Album », où j'ai samplé beaucoup de musique ukrainienne ancienne en y ajoutant ma propre touche, que j’ai publiée sous forme d'album. Ma petite amie m'a également aidé à créer des vidéos pour chacune des pistes !

Nous avons également pu collecter des dons pour une organisation humanitaire ukrainienne fondée par mon père en 2014.

J'aime terminer ces interviews en demandant quels sont les compositeurs de musique de jeux vidéo qui t'inspirent au quotidien. Qui sont tes (Golden) idoles ?

KM : Haha, elle est pas mal. J'ai mentionné plus tôt que j'ai grandi en jouant à des jeux Blizzard, et quelques compositeurs de ce studio continuent de m'influencer énormément jusqu'à aujourd'hui. Notamment Derek Duke, qui a composé les thèmes des Elfes de la nuit et des Morts-vivants dans Warcraft III, ainsi que la musique de l'île de Brume-azur dans WoW (Derek a un parcours très intéressant, et son séjour en Inde pendant quelques années a grandement influencé sa musique). Il y a aussi Matt Uelmen, qui a composé les musiques de Diablo 1 et 2, ainsi que de magnifiques morceaux pour Torchlight et WoW Burning Crusade.

Un autre compositeur que je dois absolument mentionner est Jeremy Soule. La plupart des gens ont découvert son travail à travers la série Elder Scrolls, et bien que je n'aie pas joué à ces jeux dans ma fin de l'adolescence, j'ai joué aux jeux Harry Potter depuis mon enfance. Je fais référence spécifiquement aux trois premiers jeux créés par KnowWonder, et sa musique orchestrale pour ceux-ci m'inspire encore aujourd'hui.

Une autre grande influence pour moi est Jesper Kyd et son travail sur le premier jeu Assassin's Creed, qui reste l'une des bandes sonores les plus atmosphériques et cinématographiques que j'aie jamais entendues dans un jeu vidéo, surtout pour l'époque. J'ai adoré ses travaux ultérieurs sur la série, mais sa première composition a une place spéciale dans mon cœur. Il est également sound designer, ce que j'admire profondément. La piste Master Assassin montre cette combinaison parfaite de sound design et de musique.

Kurt Harland, qui a notamment composé pour la série Legacy of Kain, est certainement une grande inspiration pour moi. Beaucoup des bandes sonores sombres que je produis sont fortement influencées par ses musiques de Legacy of Kain, et je pense que mon projet Legacy of Kain OST Re-visited dans lequel j'ai recomposé l'intégralité des musiques de cette série en dit long :D

Je tiens également à mentionner Stuart Chatwood, compositeur de la série Prince of Persia. J’ai d’ailleurs du l’opportunité de discuter avec lui de l'une de mes bandes sonores préférées de tous les temps, Prince of Persia : Les Sables du Temps, et j'ai appris des tonnes de choses intéressantes grâce à lui !

Mon inspiration la plus récente est sans aucun doute Frank Klepacki. Récemment, je suis allé voir le concert de la bande-son de Command & Conquer jouée par lui et The Tiberian Sons. En plus d'un concert incroyable, nous avons également eu des conversations très enrichissantes avec lui et l'équipe, ce qui est une grande source d'inspiration dans ma vie en ce moment.

Parmi les autres compositeurs de musique de jeux vidéo qui m'ont marqué au fil des années, je peux citer Gareth Coker (Ori and the Blind Forest), Robyn Miller (série Myst), Kai Rosenkranz (série Gothic), Paul Romero (Heroes of Might & Magic), Akira Yamaoka (Silent Hill) et Takeshi Furukawa (The Last Guardian). Ils ont tous également une influence sur ma musique, et découvrir leurs biographies est une autre source d'inspiration pour moi.

Écoutez la bande originale dans son intégralité sur la plateforme de votre choix.