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Vous l’avez constaté dans ma sélection de mai : l’actualité a été cannibalisée par le dernier opus de Zelda, mais de formidables pépites ont réussi à émerger. En témoigne mon morceau préféré du mois ci-dessous.
Nous avons également la chance d’accueillir, enfin, sur les plateformes d’écoute légale certaines OST très attendues. Pizza Tower fait ainsi une arrivée fracassante, avec bientôt plus de 350 000 écoutes pour le morceau déjà culte “It’s Pizza Time”.
Mais avant de nous plonger dans tout cela, j’ai l’immense plaisir d’avoir pu poser quelques questions à James Wrigley, le compositeur de la BO de Gun Jam, dont le titre “Burn Out” hante encore mes jours et mes nuits.
James Wrigley raconte… Gun Jam
En toute franchise, je ne connaissais pas le jeu avant d’écouter sa bande originale, et je l’ai lancée sans grande conviction. Aujourd’hui, je suis à peu près sûr que c’est déjà l’une de mes BO de l’année. C’est tellement varié ! Est-ce que Jaw Drop t’a donné carte blanche ou est-ce que tu t’en es tenu au cahier des charges ?
JW : C’est génial de voir que des gens aiment la bande originale, ça me touche. J’ai toujours voulu que le jeu et la BO puissent être appréciés indépendamment. J’aime que l’on puisse se plonger dans la bande originale, y découvrir de la bonne musique, et que ça puisse ensuite mener à jouer au jeu.
C’était une bande-son incroyablement difficile à concevoir parce qu’elle est fondamentale pour les mécaniques du jeu. Si une chanson est trop rapide, ce serait impossible d’appuyer sur les boutons à temps. Si elle est trop lente, il y aurait moins de battements sur lesquels caler ses tirs. J’ai commencé beaucoup de morceaux avec une manette en main, en tapant les rythmes avec un traqueur de clics sur mon logiciel (DAW). Je suis le seul musicien de l’équipe de développement. Comme tu peux l’imaginer, créer un jeu musical a été intense pour moi.
J’ai essayé plusieurs approches pour trouver la bonne recette. Je voulais dépasser les limites du genre des FPS rythmiques, et m’écarter d’une approche trop métronomique – en écrivant des motifs basés sur le rythme pour dynamiser le gameplay.
Au départ, j’ai composé des pistes de synthwave avec des rythmes simples à quatre temps pour tester les nouvelles cartes. Ensuite, j'ai essayé d'intégrer la mélodie en faisant en sorte que les armes en soient l’origine. En retour, l'environnement réagit aux mélodies en traitant la bande-son non-diégétique comme une piste d'accompagnement. Malheureusement, cela signifiait que les armes ne sonnaient pas comme des armes, ce qui n'a pas créé l'impact souhaité dans le jeu et n'a pas plu aux joueurs.
Je me suis alors penché sur une mécanique de boucle, et j’ai écrit un morceau de sept minutes basé sur un seul rythme. Ensuite, j’ai réécrit ce morceau de cinq façons différentes en faisant varier le schéma central. L’idée étant de pouvoir extraire ces patterns et d’en faire des boucles à part entière. Ces boucles pourraient alors aller et venir dans le jeu, en restant réactives au joueur. Cela permettait au jeu d’évoluer à chaque partie. Mais c’était une vraie corvée à réaliser, et cela faisait buguer les assets.
J'ai fini par utiliser ces fameux motifs comme base rythmique et considérer la structure musicale comme faisant partie du level design du jeu, en créant une fluidité tout au long du jeu. J'ai choisi les trois genres les plus agressifs, qui se sont résumés à l'EDM, la Trap/Hip hop et le Metal.
J’aimerais parler spécifiquement du titre ‘Burn Out’. C’est de très loin mon préféré de la BO. Combien il y a de genres musicaux différents là-dedans ?! C’est agressif mais rationnel ; torturé mais soigneusement composé ; les chants sont démentiels… raconte moi l’histoire derrière ce morceau.
JW : Je me suis vraiment lâché sur ce titre. Je venais de terminer neuf morceaux de combats pour le jeu, mais les réalisateurs en voulaient un de plus pour la fin. Les chanteurs et chanteuses avaient fait un travail tellement phénoménal que je me suis dit « et si je reprenais ces parties vocales et les poussais encore plus loin, les distordais et les remixais dans un morceau fusion en essayant d'inclure autant de musique que possible dans une seule chanson ? »
J’ai eu environ deux semaines pour le réaliser. Exporter les chants des neuf thèmes de combat initiaux m’a pris déjà une semaine. J’ai dû convertir chaque voix sur un BPM unique, ce qui m’a fait tâtonner. C’était un gros défi de faire en sorte que le flow reste bon, et je me suis beaucoup reposé sur des techniques de production comme des risers ou des sections lo-fi pour que les coutures ne soient pas trop apparentes. Je jetais des sons de dingue au mur et voyais ce qui collait.
La meilleure partie était de prendre les parties vocales screamées des morceaux metal (Carbon Copy, Encaged et Blood Sugar), de les downpitcher pour les rendre encore plus gutturales et distordues, et ensuite de remplacer les riffs de guitares par des synthés. C’était exceptionnellement fun.
Tu as travaillé avec de nombreux et nombreuses interprètes sur cette BO. Comment tu t’y es pris pour que le tout reste cohérent et que chacun·e comprenne bien son rôle ? Sur une note personnelle, j’aime beaucoup que le casting d’interprètes soit aussi divers que les genres musicaux explorés dans l’OST.
JW : C’était un effort international avec des chanteur·euses venus des États-Unis et du Royaume-Uni. Trouver un moment pour faire venir tout le monde au studio a été le plus compliqué. Le chant en japonais du titre Encaged a été enregistré intégralement avec le micro des écouteurs d’un iPhone (et a été beaucoup nettoyé en post-production).
Alice, l’interprète, n’avait pas encore de studio d’enregistrement à ce moment-là. Le chant ne devait pas faire partie de la bande originale à l’origine, mais les retours que j’avais de l’éditeur et des réalisateurs étaient : « plus de mélodie ». Ils voulaient mettre des solos de guitare partout et la rendre très « Crypt of the NecroDancer », mais je trouvais que ça ne marchait pas. Je voulais transformer ces titres en vraies chansons, ce qui m’a conduit à demander du chant aux interprètes. Et je pense que ces parties chantées font entrer les morceaux de la BO dans une autre dimension. J’adore chantonner alors que je flingue en rythme dans le jeu !
Quel·les autres compositeur·ices de musique de jeux vidéo t’inspirent ?
JW : Sebastien Najand (l’éminence grise derrière KDA) fait un travail incroyable ! Je n’ai aucune idée de comment il arrive à rendre ses basses si amples et propres. Ses arrangements sont phénoménaux.
Évidemment, tout le monde aime le travail de Mick Gordon sur DOOM. Mais ce sont les petits extraits qu’il poste sur Instagram qui m’inspirent le plus. Tout ce qu’il fait avec le matos Erica Synths est fantastique.
Ludwig Göransson est aussi une grande inspiration avec ses BO hip hop et son travail de synthés sur Tennet.
Une recommandation musicale non liée à la musique de jeux vidéo pour terminer ?
JW : Oui ! Mes amis de Bloodywood et Make Them Suffer écrivent un metal incroyable. Je suis aussi à fond dans Stromae ces derniers temps (merci à mon épouse de me faire découvrir de nouveaux sons quand elle fait le DJ dans la voiture).
Écouter la bande originale de Gun Jam sur la plateforme de votre choix.