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Arnaud Roy raconte… Endless Dungeon
Après des années à explorer les musiques traditionnelles dans Humankind, celui qui se faisait appeler FlyByNo renoue avec les étoiles dans le nouvel opus de la saga Endless.
Fêtons ensemble la sortie de Endless Dungeon avec une interview-fleuve de son compositeur. Collaborateur de longue date d’Amplitude, architecte sonore de l’univers Endless au sens large, Arnaud Roy s’exprime sur la BO la plus rock qu’il a jamais composée.
L’occasion, aussi, de revenir sur cette formidable collaboration avec la chanteuse américaine Lera Lynn, qui pose sa voix dans un espace qui nous avait habitués à son mutisme. Bonne lecture, et de chaleureux remerciements à Arnaud ainsi qu’à l’équipe de G4F Records pour avoir permis cette rencontre.
Quand on pense à Arnaud Roy, c’est immédiatement la licence Endless qui vient en tête. Après un Humankind qui a dû bien t’occuper, comment tu te sens de revenir aux manettes d’un nouvel opus ? Tu te sens attaché à cet univers ?
Arnaud Roy : Effectivement, Humankind c’était 5 ans de développement. Ça m’a pris un peu plus de 3 ans pour faire cette bande-son. C’était quelque chose d’assez massif.
Mais les productions se tuilent ; quand on a fini une production, en réalité on en a déjà commencé une autre. Malgré Humankind, j’étais déjà en train de travailler sur Endless Dungeon.
Ça m’a fait un gros changement d’atmosphère ! On passe d’une bande-son 100% orchestrale, acoustique, à quelque chose d’hybride entre un groupe de rock et des vieux synthés des années 90.
En même temps, c’était vraiment super de pouvoir changer complètement d’atmosphère.
Concernant l’univers Endless, ça fait maintenant depuis 2012, avec le premier opus d’Endless Space que je travaille pour Amplitude. Je leur ai fait, je ne sais pas combien de centaines de morceaux déjà, plusieurs heures de musique. Évidemment, c’est un peu ma manière de pouvoir exprimer des choses, tantôt poétique, épique, mélancolique… C’est un univers très large, avec des couleurs différentes qui me permettent d’explorer plein de facettes musicales. C’est assez chouette d’être celui qui illustre cet univers-là.
J’ai eu la chance d’écouter la BO en avant-première et j’ai sincèrement adoré ce que j’ai entendu. Je ne suis pas le plus expert sur les bandes originales des précédents jeux, mais je ne pense pas me tromper en disant que celle de Dungeon est très différente des autres. Qu’est-ce qui a guidé la direction musicale de cet opus ?
AR : Effectivement — et merci pour ton compliment —, quand on a commencé à travailler sur Endless Dungeon, le studio voulait qu’il y ait un groupe qui se trouve dans le saloon, l’endroit qui sert de hub où l’on revient après chaque run.
Dans ce saloon, l’idée était d’avoir un groupe évolutif, dont on découvrirait les membres les uns après les autres [au fil des parties]. L’autre versant était aussi de pouvoir avoir une réminiscence que j’avais faite sur Dungeon of the Endless, qui était vraiment une bande-son que j’avais faite uniquement avec des synthés très minimalistes des années 90, une BO très éthérée, dans une ambiance un peu “dark exploration”. Donc je me suis dit qu’on allait mélanger ça avec l’idée d’un groupe de rock qui joue dans le saloon.
On a cherché à mélanger des aspects plus rock, blues, post-rock et rock prog avec un peu de dark ambient.
J’ai été très agréablement surpris par l’importance accordée à la batterie dans l’album. Ça m’a fait me rendre compte qu’on entend rarement de percussions acoustiques dans les jeux vidéo. Ça donne à la BO d’Endless Dungeon la patine d’un véritable album de rock à certains égards. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?
AR : La batterie vient encore une fois de cette idée de groupe de rock. D’ailleurs, le batteur est un Cravers, c’est un peu comme ça qu’on a fait le lien avec l’univers Endless.
La batterie a été le moteur du projet avec la guitare. Ce sont vraiment deux instruments qui font qu’on a construit cette BO comme un album de rock. Mais dans le jeu, elle est plus en sourdine, on l’entend moins — ou plus tard dans le jeu — parce qu’elle peut prendre beaucoup de place. On ne voulait pas qu’elle occupe trop d’espace par rapport aux bruitages.
Vous allez retrouver dans le jeu des versions qui sont plus ambient, où les guitares sont différentes. Dans l’album, la batterie a fatalement plus d’importance.
L’aspect rock est vraiment motivé par mes influences : le post rock des années 90, des groupes comme Tortoise, Do Make Say Think, du néo métal, Rage Against The Machine. Des groupes qui ont marqué ma jeunesse et qui sont ressortis avec ma volonté de composer dans ce style.
Est-ce que l’aspect rogue like de Endless Dungeon a joué un rôle particulier dans ta manière de composer pour le jeu ? Qu’est-ce que ça change pour toi, cet aspect die & retry ?
AR : Oui, c’était très important. Au départ, je compose mes musiques de façon à ce qu’on puisse les écouter comme dans n’importe quel album. Ça donne une homogénéité à mes compositions. Ensuite, dans un effort d’interactivité, il faut découper ces musiques, les mettre “en couches”, les faire boucler pour faire en sorte que ça colle au gameplay.
On a fait beaucoup d’aller-retour car le jeu a pas mal évolué pendant la production. Le game design a beaucoup changé. Dans Dungeon of the Endless, les musiques sont simplement jouées au hasard. C’est une playlist avec des boucles. On a essayé de faire pareil pour Endless Dungeon mais ça ne marchait pas du tout parce que le jeu est séquencé très différemment.
On a dû découper les musiques en segments plus courts, avoir des tracks spécifiques pour les batailles, pour le cristal, pour les boss… au final, les ambient track, les tracks orchestrales, on va dire, ont été découpées pour faire en sorte qu’elles se déclenchent quand on rentre dans une nouvelle zone. Mais elles ne s’éternisent pas, pour ne pas prendre le pas sur les autres sons du jeu. Ça crée un marqueur à chaque début de niveau.
Pour ce qui est du saloon, le hub central, on découvre les musiciens les uns après les autres. Il a donc fallu faire différentes versions : guitare uniquement, guitare et batterie, voix et batterie… toutes les combinaisons possibles entre les quatre musiciens, dont Lera Lynn. Parfois, on n’entend que sa voix. D’autres, elle est accompagnée par un ou plusieurs instruments. On a fait tout un système qui fait que non seulement on débloque les musiciens à différents moments, mais parfois, ils s’absentent pour aller boire un coup. Ça permet d’avoir beaucoup de variété dans la musique du jeu.
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Tu composes de la musique depuis longtemps. Est-ce que Endless Dungeon t’a permis d’essayer quelque chose de nouveau pour la première fois, que ça soit un instrument, une nouvelle façon de travailler ou même des petites astuces musicales que seuls les plus nerds remarqueront ?
AR : Concernant les astuces musicales, il y a deux remakes de musiques qui étaient dans Dungeon of the Endless. Une track qui s’appelle “Celluloid” que j’aime beaucoup et qu’on a remixée pour ce jeu-là, et la musique du cristal qui est tirée du premier opus. Je pense que celles et ceux qui y ont joué s’en rendront compte !
La grosse nouveauté pour moi était de jouer de la guitare. Je suis pas du tout guitariste, mais je jouais de la basse électrique. Donc j’ai pris une guitare… et j’y ai joué comme un bassiste. J’ai fait quelques maquettes avec des mélodies, des choses très simples. Mais je les ai bien sûr fait jouer ensuite par un vrai guitariste, quelqu’un qui est beaucoup plus à l’aise que moi — Thomas Ottogalli, qui a fait beaucoup d’arrangement, qui a donné une couleur bien à lui sur cette production.
Mais travailler avec la guitare, travailler des riffs, c’était une première pour moi et j’ai trouvé ça assez chouette. Tout comme la programmation de la batterie d’ailleurs, qui s’est bien intégré à ce dont j’ai plus l’habitude avec la programmation de synthés.
Outre l’ambiance musicale plus blues et rock que sur Endless Space et Legend, la BO de Dungeon sort du lot pour les superbes chansons interprétées par Lera Lynn. Je l’avais adorée dans True Detective et j’étais trop heureux de la voir associée à ce projet ! Tu peux nous raconter comment ça s’est fait, et expliquer comment vous avez travaillé au fil des mois ? L’enregistrement s’est fait à distance ou vous avez pu bosser ensemble en studio ?
AR : On l’a contacté tout début 2020. C’était aux prémices du Covid. On s’était d’abord dit « Ouais, on va aller à Nashville pour enregistrer ! ». Évidemment, on l’a pas fait. Mais on l’a contacté en amont de la production pour lui commander quatre morceaux, dont chacun avait un thème.
C’est Jean-Maxime Moris, le directeur créatif d’Amplitude, qui a défini ces thèmes : “Endless”, sur la mythologie de la licence, “Free Again”, qui parle du fait de pouvoir s’extraire de la boucle de gameplay d’un rogue like, “Home”, qui est un morceau sur le fait de paraître cool dans le saloon et un dernier morceau en mode « on va se friter avec des monstres, c’est parti », intitulé “The Garden”.
Elle a composé les morceaux du premier coup. On a tout de suite adoré le résultat, il n’y a jamais eu besoin de faire d’aller-retour sur ses compositions. J’ai récupéré les morceaux et j’ai ajouté des synthés pour habiller le tout à la sauce Endless et on a mixé le tout.
Mais donc pour te répondre, effectivement nous avons travaillé à distance.
Pour finir, peux-tu me dire quel est ton morceau favori de la BO et pour quelle raison ? Personnellement, j’aime énormément The Garden, mais je pense que si je devais en retenir qu’un, ce serait Bug Momma. De loin le morceau le plus rock de l’album !
AR : J’aime bien “The Architect”, qui est le morceau du dernier boss et qui a une grosse montée un peu post-rock vers la fin.
Mais, mon favori ? Je dirais “Dust Echoes” que j’aime grâce à ce riff de guitare que je jouais sur la plage quand j’avais 16 ans. Je crois que c’est le seul riff de guitare que je sais jouer d’ailleurs. Je suis très content de l’avoir casé dans le jeu ; c’est un petit souvenir que j’ai placé là et j’aime la poésie que ça déclenche chez moi de le réecouter dans ce contexte.
J’aime aussi beaucoup “Station Blues”, le morceau du générique avec cette fin complètement éthérée.
Écoutez la bande originale de Endless Dungeon sur la plateforme de votre choix.
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Arnaud Roy raconte… Endless Dungeon
Superbe Interview! J'avais complètement oublié l'existence de Tortoise depuis la fac, obligé•e de réécouter du coup, c'est la règle.