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Chants of Sennaar fait sauter les barrières de la langue
Un jeu d’enquête aussi fascinant qu’il sait ménager notre frustration.
Développé par : Rundisc (France)
Édité par : Focus Entertainment
Musique par : Thomas Brunet
Disponible sur : PC (testé) (Steam Deck compatible), Switch
Test réalisé grâce à une clé fournie par l’éditeur
Si vous êtes comme moi, vous avez peut-être un rapport compliqué avec les puzzle games.
Comme bien d’autres trentenaires, j’ai des souvenirs laborieux, quoique durables, de mes nombreuses tentatives à faire quoi que ce soit dans Myst, et plus tard Syberia ou Dreamfall: The Longest Journey. Ce sont des jeux qui m’ont marqué, oui, mais qu’on m’a littéralement mis entre les mains. De mémoire, jamais, ou presque, je n’ai eu l’envie de me confronter à ce genre de défi de mon plein gré.
Il y a probablement quelque chose à creuser là-dessous tant je me rends compte que c’est intimement lié à ma crainte de me sentir ridicule. Il faut dire que mes proches peuvent témoigner que je suis assez loin d’être la personne la plus logique qui soit.
Pourtant, Chants of Sennaar, personne ne me l’a mis dans les mains. J’ai choisi d’y aller. Et, un peu comme à une soirée à laquelle on se rend en traînant des pieds, je n’ai pas regretté le voyage une seule seconde.
Happer des peuples
C’est un comble : les mots me manquent pour évoquer le nouveau jeu de Rundisc. Ah ça, Pierre est plus à l’aise pour s’étaler sur des jeux verbeux que sur des titres qui questionnent la notion même de langage. Par contre, totale détente pour écrire à la troisième personne visiblement.
La façon la plus simple de le décrire serait peut-être de parler du mythe de la tour de Babel. Si, comme moi, vous avez séché votre catéchisme, voici de quoi vous rafraîchir la mémoire.
Les descendants de Noé ayant survécu au Déluge ont entrepris la construction d’une tour dont ils veulent qu’elle tutoie le ciel. Comme il déteste les réfugiés climatiques, Dieu leur jette un vilain sort qui fait que les peuples n’arrivent plus à se comprendre, interrompant de fait la construction. Chacun s’approprie donc un étage de la tour de Babel, condamné à ne pouvoir converser qu’avec ses semblables.
Voilà le genre de bourbier dans lequel vous débarquez. Vous, protagoniste silencieux et encapuchonné, sortant tout juste d’une stase au pied de l’immense édifice se dressant dans un désert sans fin.
Chants of Sennaar ne met que quelques secondes à vous faire comprendre ce qu’il attend de vous. Une porte, un levier, des glyphes inconnus. Actionner le levier ouvre la porte, l’action inverse la referme. Hop, on sort son carnet, et on prend des notes – non, pas vous, le personnage.
Rassurez-vous : il ne vous sera (presque) jamais nécessaire de vous munir d’un Moleskine et de tailler la pointe de votre crayon gris (oui, je viens du Nord). À chaque fois que vous rencontrez un nouveau caractère, il est automatiquement consigné dans votre journal. Libre à vous d’émettre des hypothèses sur sa signification. L’intérêt ? Pouvoir visualiser, même partiellement, le sens des phrases de vos interlocuteurs.
Ce n’est qu’en découvrant suffisamment de symboles qu’une sorte de test de compréhension nous est proposé : il s’agit de poser le bon mot en face du bon concept pour « valider » sa définition. Une phase qui nécessite forcément une forme d’investigation. Comment être sûr que « moi » ne signifie pas « toi » ? Ce symbole phallique représente-t-il une tour ou ai-je juste l’esprit en carafe ? Mais, au fait, on est sûr que ce peuple écrit de gauche à droite ?
Je ne vais pas vous raconter de cracks : il y a des fois où j’ai forcé le destin avec l’insistance d’un gamin cherchant à rentrer un cube de bois dans un rond de serviette. Eh oui, l’hypothèse que vous consignez dans votre carnet n’a de valeur que pour vous. Aussi, à force d’essayer différentes combinaisons, vous pouvez très bien obtenir la définition d’un mot et vous sortir d’une belle panade. J’ai le souvenir d’un terme lors de ma visite au troisième étage que j’avais complètement compris de travers et dont la définition m’a tout bonnement débloqué l’accès à l’étage suivant.
Assassin’s Scribe
Croyez-moi sur parole : l’instantanéité de Chants of Sennaar tient de la sorcellerie. Et c’est quelqu’un qui n’a joué que 10 minutes à Return of the Obra Dinn qui vous dit ça (je tenais à conserver ma vision en bon état). La décharge de dopamine qui vous électrise quand vous parvenez à comprendre ce que vous dit le pauvre clampin qui vous bloque l’accès vaut au moins celle d’être élu joueur·euse de la partie dans un FPS compétitif.
À aucun moment le jeu de Rundisc ne m’a donné l’impression d’être un imbécile. Après tout, la difficulté est diégétique ! Notre personnage non plus, ne comprend pas ce que l’on attend de lui. Ce n’est qu’à force d’exploration, et en résolvant les énigmes parcimonieusement disposées sur notre route qu’on parviendra à assembler les pièces du puzzle.
Mais, pour cela, Chants of Sennaar nous impose d’accepter un contrat. Contrat qui impliquera, parfois, un grand nombre d’aller-retour dans des zones au labyrinthisme intimidant – surtout quand on vient de les découvrir. Contrat, encore, qui nous obligera très occasionnellement à supporter des phases d’infiltration trop sommaires pour être vraiment intéressantes – mais en aucun cas aussi pénibles qu’on a bien voulu me le faire croire.
Malin, Chants of Sennaar le reste jusqu’à son terme. Jusqu’à ce que l’on se rende compte que le Rubik’s cube qu’on a passé les 10 dernières heures à mettre d’équerre est moins un bibelot qu’un outil, et qu’il nous appartient de nous en servir. Si ce paragraphe sonne par trop cryptique à vos yeux, c’est donc que j’ai bien fait mon travail et vous ai donné envie de voir par vous-même de quoi il retourne.
Plus varié que ce à quoi on peut s’attendre en ne regardant que le trailer et quelques captures d’écran, Chants of Sennaar est aussi un tour de force artistique. Visuellement, déjà, avec cette palette de couleurs ultra saturée (y jouer sur un écran OLED est un ré-gal) et son level design transpirant une mélancolie à laquelle Fumito Ueda n’est pas étranger.
Musicalement, la bande originale composée par Thomas Brunet a beau être très inspirée par Journey, elle ne peine jamais à trouver son identité. Le jeune compositeur bordelais s’est très bien entouré et livre ici une BO riche en véritables instruments, enregistrés au studio du Bassin. Elle s’écoute juste ici, et on en parle évidemment plus en longueur dans la prochaine newsletter.
Je profite d’ailleurs de l’occasion pour l’annoncer à celles et ceux qui prendront la peine de me lire jusqu’ici : j’aurai le plaisir d’accueillir Thomas dans les Faces-B d’octobre !